A l’étranger, où la présence d’établissements et professionnels médicaux et sociaux est parfois limitée, l’école inclusive reste un défi quotidien. Etat des lieux de la prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers en expatriation.
« Comment peut-on à l’étranger, en l’absence des structures qui rendent possible la scolarisation inclusive des élèves en France, leur permettre malgré tout d’avoir accès à une scolarité française ? » Pour Fabrice Rousseau, chef du service pédagogique de l’AEFE, la scolarisation en expatriation des élèves à besoins éducatifs particuliers n’est pas exempte de problèmes. Bâtiments anciens sans ascenseur, difficultés à faire financer les auxiliaire de vie scolaire, aucun substitut aux Maisons Départementales des Personnes Handicapées…Les parents se livrent parfois à un véritable parcours du combattant pour scolariser leurs enfants dans des conditions satisfaisantes. Pourtant, depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, tout enfant présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé peut être inscrit dans l’école de son quartier.
L’AEFE et les représentants des Français de l’étranger se sont donc emparés de la problématique depuis déjà quelques années. « La commission des affaires sociales et des anciens combattants de l’Assemblée des Français de l’étranger s’intéresse à ce sujet depuis longtemps », indique Anne Boulo, conseillère consulaire membre de l’AFE et enseignante au lycée français de Hanoi. En octobre dernier, suite à une audition avec Sophie Cluzel, Secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, la commission des affaires sociales de l’AFE mandate deux conseillers consulaires, Anne Boulo et Guy Savery, pour réaliser un état des lieux des dispositifs accessibles aux Français de l’étranger porteurs de handicap. A partir d’une étude de la législation en vigueur, conjuguée à une consultation à laquelle ont répondu 270 personnes à travers le globe, le rapport « Handicap et vie à l’étranger » fournit des données précieuses sur l’accompagnement des élèves à besoins éducatifs particuliers en expatriation.
La moitié des parents expatriés choisissent l’AEFE, un tiers le système scolaire local
Près de 51% des parents d’enfants à besoins éducatifs particuliers ayant participé à la consultation scolarisent leurs enfants dans les établissements AEFE, contre 30% dans le système scolaire local. Les autres parents consultés préfèrent les instituts spécialisés (12%), la non scolarisation (6%) ou encore le CNED (1%).
Les familles ayant opté pour l’AEFE font un retour global positif quant à la bonne volonté et au suivi qui a pu être mis en place au sein des écoles du réseau. Cependant, beaucoup de témoignages regrettent le manque de formation par rapport à la prise en charge des différents types de handicap, ainsi que le manque de professionnels et spécialistes intervenant au sein de l’école.
Dans des pays comme Singapour, la Belgique, le Luxembourg, le Danemark, les Pays Bas ou certaines régions des Etats-Unis, le système éducatif local semble offrir un suivi de qualité et adapté qui a conquis un grand nombre de familles françaises. « Ces pays incluent très facilement les enfants à besoins éducatifs particuliers avec un suivi à l’intérieur de l’école par des professionnels, un accompagnement des familles, des groupes de parole » affirme Anne Boulo.
De quoi inspirer, dans certains cas, les structures françaises. Pour Isabelle Picault, référente handicap à l’AEFE, « nos établissements ont parfois des partenariats avec des structures locales, scolaires, paramédicales : il y a des échanges ».
Un accueil inégal en fonction des établissements et pathologies des élèves
Une circulaire du Ministère de l’Education Nationale de 2017 précise les dispositions concernant les élèves français en situation de handicap, scolarisés dans des établissements d’enseignement français à l’étranger. Ces dernières vont des modalités de saisine préalable par les parents des maisons départementales des personnes handicapées aux dispenses des enseignements et aménagements d’examens, en passant par les bourses et le matériel pédagogique. « Les textes qui expliquent les démarches irriguent le réseau via les inspecteurs généraux, les proviseurs, les postes consulaires, pour que tout le monde soit au même niveau d’information et puisse accompagner les familles », explique Isabelle Picault.
Cependant, Anne Boulo déplore que
la qualité du suivi et des adaptations pédagogiques varie d’un enseignant à l’autre et plus largement d’une école à l’autre
Si, d’après Isabelle Picault, « les équipes font du cousu main avec un engagement et une créativité significatifs », la bonne volonté n’est pas toujours assortie de la formation suffisante. Pour pallier ces disparités dans la familiarisation du corps enseignant aux élèves à besoins éducatifs particuliers, l’AEFE met en place, chaque année et sur l’ensemble du réseau, 35 stages de 3 jours chacun, ainsi que des modules de formation continue. « Il y a un après formation, relayé par les corps d’inspection et les conseillers pédagogiques », explique Fabrice Rousseau. « Cela nous permet de toucher le plus grand nombre de personnels pour que la culture d’inclusion se diffuse dans le réseau ».
Outre la formation, les fortes distinctions entre pathologies expliquent l’hétérogénéité de l’accueil. « Le handicap moteur est le moins difficile à gérer ; il faut s’assurer que l’accessibilité physique soit garantie », expose Fabrice Rousseau. « C’est beaucoup plus compliqué pour les troubles du spectre autistique. Les élèves peuvent être mis en difficulté de compréhension, de concentration, et ont parfois un comportement en décalage avec le reste de la classe », poursuit-il. La sensibilisation de la communauté éducative comme de celle des parents d’élèves prend encore ici tout son sens. Les moyens pédagogiques et le faible nombre d’élèves par classe dans les établissements français à l’étranger facilitent grandement les adaptations.
A la différence de l’éducation nationale, nous n’avons que 350.000 élèves, donc plus de facilités à ajuster et s’adapter
Fiscalité, bourses : l’épine dans le pied de l’école inclusive à l’étranger
« On a insuffisamment exploré le volet de la fiscalité », regrette Anne Boulo.
En France, il y a toute une batterie d’avantages et déductions fiscales dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap. Il faudrait les rendre plus accessibles depuis l’étranger aux personnes qui paient des impôts en France
Les auxiliaires de vie scolaire, généralement rémunérés en France sur fonds publics, sont très souvent à la charge des familles expatriées, hormis le cas des élèves boursiers. La difficulté d’accéder à des aides financières, associée à des frais de scolarité et des tarifs des professionnels de la santé élevés, expliquent que certaines familles doivent parfois renoncer à l’expatriation.
« L’observatoire pour les élèves à besoins éducatifs particuliers a permis de faire bouger les choses »
« Toutes les démarches que les familles ont à entreprendre pour la reconnaissance du handicap et l’accompagnement sont très bien expliquées », se réjouit Anne Boulo. « L’observatoire pour les élèves à besoins éducatifs particuliers a permis de faire bouger les choses ».
« Il permet d’avoir des indicateurs, de rassembler les différents acteurs concernés, de valoriser les bonnes pratiques et de réaliser des travaux en commission », complète Isabelle Picault. Créé il y a deux ans, l’observatoire n’entend pas seulement établir et partager une photographie des élèves à besoins éducatifs particuliers dans le réseau, mais il ambitionne de favoriser un échange entre les 494 établissements homologués pour tendre vers la meilleure inclusion possible. Par ailleurs, via l’établissement d’outils tels que la foire aux questions ou un modèle de convention autorisant la présence d’accompagnants au sein des établissements, l’observatoire souhaite fournir une aide concrète aux parents d’élèves.
A l’heure des restrictions budgétaires de l’Agence, l’inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers semble sanctuarisée. « Notre rôle d’accompagnement sur la pédagogie, la gouvernance et la formation continue, en partie financée par les établissements, n’a aucune raison d’être remis en question » conclut Fabrice Rousseau.
Source: « Quelle école inclusive à l’étranger ? » – www.lepetitjournal.com article du 25 avril 2018